La dyspraxie n’est connue que de ceux avec qui elle a un contact. Pour les autres, vous pouvez faire un tour ici avant de lire cet article.
On nomme cet handicap « invisible » parce qu’il est difficile de le déceler vraiment, surtout dans une classe où tous les élèves sont différents. On a plutôt tendance à trouver ces élèves paresseux. Il faut constamment répéter car «ce sont des anomalies de la planification et de l’automatisation des gestes volontaires». Alors pour ceux qui ne l’ont pas fait, vous pouvez aller en lire une définition ici.
Petit, elle se manifestait par ne pas être capable de manger une pomme en la croquant, ou un maïs sur épi. Ne pas être capable de faire des boucles de souliers ou de rouler à bicyclette. Ne pas pouvoir enfiler une ceinture dans les ganses ou attacher le bouton de son pantalon. Ne pas reconnaître les lettres de l’alphabet ou ne pas comprendre la valeur d’un nombre. Ne pas voir l’ensemble d’un dessin, la rectitude des lignes ou la justesse des proportions.
Les apprentissages scolaires étaient ralentis, parfois presqu’au neutre. La répétition était incessante et le progrès chagrinant. Mais on dirait que tant qu’il était petit, on arrivait à ne pas avoir d’attentes irréalistes. On pardonnait les maladresses, on excusait les manques, on palliait aux retards.
Puis l’enfant grandit.
À 14 ans, la dyspraxie se fait plus visible. Le fossé entre un jeune non dyspraxique et un jeune dyspraxique se creuse avec les années et l’entrée à l’adolescence.
La lenteur d’exécution de certaines tâches mathématiques simples est désespérante pour celui qui attend la réponse. Pour atteindre un niveau de complexité en mathématiques, il faut pouvoir accomplir certains calculs rapidement. Sinon se rendre au bout de la tâche complexe est d’une longueur endormante. Lorsqu’on enseigne à ses enfants, on a évidemment à donner des explications sur des problèmes de mathématiques. Lorsque les enfants sont petits, automatiquement on ralentit notre raisonnement pour que l’enfant assimile les explications. Mais lorsque le jeune a 14 ans et qu’on lui enseigne depuis plusieurs années les notions, on sait exactement ce qu’il doit savoir et on utilise ces notions vues pour expliquer les nouvelles notions. Or les notions vues n’ont pas été retenues. C’est comme s’il fallait recommencer les explications du début pour chaque notion nouvelle. Et chaque calcul doit être fait en s’arrêtant pour y réfléchir et même parfois en devant écrire le calcul pour l’effectuer, alors que normalement ces choses se font mentalement et rapidement puisqu’elles sont faites répétitivement depuis tant d’années. Mon langage corporel à corriger: retenir mes deux bras de tomber lorsque je dois recommencer les explications.
Le désordre des cahiers ou des notions dans les cahiers est étourdissant. Il faut répéter de trouer et classer les feuilles dans les bons duo-tangs. Ok on doit faire ça avec tous les enfants. On doit pouvoir relire les réponses dans les cahiers pour pouvoir étudier. Ici l’incapacité à se relire est un obstacle majeur à la réussite scolaire: travail malpropre, certains mots manquants, certaines lettres manquantes, une multitude de fautes d’orthographe , des explications sans queue ni tête, complètement illogiquement exprimées. «Pourtant quand maman expliquait je comprenais, mais là je n’arrive pas à le formuler adéquatement, je n’arrive pas à rechercher l’information dans ma tête, tout est un fouillis dans ma tête. Qu’est-ce qui est important? Quelle information discarter?»
L’incapacité à reproduire une tâche faite à plusieurs reprises auparavant devient un frein à l’autonomie. Il cuisine avec son père depuis quelques années. Il aime la cuisine, il est même possible qu’il veuille en faire un métier. Mais lorsque pour la 15e fois, il doit préparer un riz et que cette fois-ci il doit le faire seul, oups! On met de l’eau dans un chaudron, comme pour les pâtes alimentaires, c’est-à-dire sans calculer la quantité et, lorsqu’à ébullition, on met le riz. Quand le riz sera prêt déjà? Normalement lorsqu’il aura absorbé tout le liquide… On y sera encore demain matin, il a rempli le chaudron d’eau jusqu’au bord. Enlevons de l’eau, enlevons encore de l’eau, non encore, il y en a beaucoup trop. ok maintenant ça devrait s’absorber. On peut régler ça en suivant les recettes. «Non non je m’en rappelle pas besoin de recettes»…
L’oubli du geste fait deux minutes auparavant est désarçonnant. «Ai-je mis deux ou trois tours de moulin de sel dans la recette? J’ai dû en mettre deux, alors j’en mets deux autres. En ai-je ajouté un ou deux autres? Je crois que j’en ai ajouté juste un, il m’en faut un autre. Wouh c’est salé ça, wouah impossible de manger ça». «Maman je peux descendre mon bac de lavage, il me reste juste deux bobettes propres?» Deux jours plus tard: «Maman, je peux descendre mon bac de lavage, j’ai oublié et là je mets ma dernière bobette propre.» Le lendemain: «Maman je dois ABSOLUMENT descendre mon bac de lavage, je n’ai plus de bobettes propres à mettre.» «Hier j’aurais pu le faire chéri, mais aujourd’hui on sort toute la journée, je n’aurai pas deux minutes pour le faire»… Note à moi-même: Arrêter au magasin acheter un paquet de bobettes propres pour sauver les prochains jours.
La maladresse est devenue destructrice. Un petit de 3 ans qui trébuche sur un jouet se fait mal. Un grand de 14 ans qui trébuche sur un jouet le casse. Et lorsqu’un tout-petit de deux ans a des jouets, ils sont généralement éparpillés sur le plancher. Ça coûte cher un enfant dyspraxique qui se déplace à la maison en permanence puisqu’il ne va pas à l’école et qui a une petite soeur et un petit frère encore aux âges des jouets qui traînent. Ça casse des millions de choses. Ce n’est qu’un petit détail, c’est anodin, mais c’est ça.
De l’eau dans la cave des pantalons, des orteils recroquevillés au bout des souliers, des manches qui remontent au coude lorsqu’on lève le bras… Il ne se rend jamais compte que la paire de bottes, le gros chandail ou les jeans sont trop petits. Les fermetures éclairs lâchent, les souliers défoncent, il est impossible de passer ses vêtements à ses frères plus jeunes. Lorsqu’on retire les morceaux trop petits des tiroirs, il est déjà trop tard. Non dites-vous que ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’il porte des vêtements deux tailles en-dessous. Il ne s’en rend pas compte. L’autre jour, nous sortions pour une activité d’école maison. 5 chandails style coton ouaté il a passé avant d’en trouver un qui était d’une grandeur acceptable. «Mets les autres sur mon lit, que je les garde pour ton frère» Une semaine plus tard, je dois encore lui dire d’enlever son chandail et de le mettre sur mon lit, il avait oublié la dernière fois. Il me dit: « Ha c’est pour ça qu’il trainait sur mon lit au lieu d’être dans mon tiroir».
Les chemins sont comme un gros noeud dans sa tête. Il lui serait impossible de retrouver son chemin s’il se perdait. Les distances ne sont pas évaluées adéquatement. Comme la notion de valeur du nombre n’est toujours pas acquise, il ne se représente pas dans sa tête 12 ou 35 kilomètres. Il ne voit pas que si on prend à gauche puis à gauche ou à droite puis à droite puis à droite, on se rendra au même point. Il ne conçoit pas qu’on ne peut passer par là ramasser ça pour aller chez telle personne, ce sont deux directions opposées, mais DIAMÉTRALEMNT opposées. Et à 14 ans, ça veut avoir raison, ça veut le dernier mot, ça ne veut pas perdre la face, alors ça tient son bout coûte que coûte, quitte à s’enfoncer dans un ridicule qui heureusement ne tue pas.
Et on pourrait continuer, les exemples se bousculent aux portes tous les jours. Vivre avec un dyspraxique est épuisant.
Je sais, ça ne doit pas être facile d’être lui parfois. ÊTRE dyspraxique est épuisant. Pour fonctionner comme les autres, il doit toujours être à l’affût. Il doit tout se répéter dans sa tête. Et à 14 ans, maintenant cet handicap n’est plus invisible, ni pour les autres, mais surtout ni pour lui. Il se rend compte de ses incapacités, de ses lenteurs. Lorsqu’on veut faire sa place dans le monde, mais que sa place doit être adaptée, lorsqu’on est ado et qu’on veut se fondre, mais qu’on détonne, lorsqu’on veut être normal et qu’on y arrive pas, il se peut qu’on soit parfois malheureux.
Une chance, une grandiose chance, la dyspraxie ce n’est pas tout, elle n’est qu’une partie de toi. Et tu finiras par la dompter à défaut de la faire disparaître. J’ai confiance en tes capacités, même si je dois souvent me parler pour retenir mes bras de tomber. Tu es fort!
ah Katherine!! Que ca fait du bien de te lire! Ma grande bientôt 13 ans est tellement tellement pareille et en plus elle a une dysphasie sévère alors quand elle veut exprimer sa propre frustration, elle n’y arrive pas. Elle est tellement souvent fâchée et déçue à cause de tout cela. Je regarde la vie ado et adulte qui approche et j’avoue à certain moment j’ai le goût de pleurer. Je me demande si elle va arriver à être autonome, à conduire une voiture, à avoir un travail. Quand ils sont jeunes on peut se dire ça va surement aller mieux, on va trouver des stratégies, mais là vers 13 ans, on constate que l’évolution sans plafonner va être lente et que peut être qu’on devra faire le deuil de plusieurs choses. Mais je continu de croire en mon enfant car elle a tellement de belle qualité; mais est-ce que ce sera assez pour faire une vie « normale » « a l’âge adulte? Je ne sais plus aujourd’hui. Mais je me relève les manches et elle aussi et on continue. Merci encore pour ton partage.
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Le combat évolue avec le temps, et les illusions tombent une à une. On apprend à trouver des solutions adaptées au moment, il faut prendre les années une à la fois. Ne pas trop embrasser l’avenir tout de suite.
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Quel bel article… Vibrant d’un vécu quotidien et d’une observation aiguisée.
Tu devrais prendre le temps… lorsque tu en auras de disponible un jour pour vulgariser ton quotidien avec des enfants différents.
Tu as une façon très «imagée et claire» d’expliquer ce que nous ne pouvons comprendre sans le vivre.
Ça pourrait éclairer plusieurs mamans qui se questionnent!!!
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Merci. J’essaie de temps en temps de croquer un moment de notre quotidien. Je sais que cela peut aider les gens à voir qu’ils ne sont pas seuls, même si parfois moi-même j’ai l’impression d’être seule face à tout ça.
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Je suis certaine que plusieurs n’arrivent pas à bien «voir» comme tu le fais. On voit que tu connais la problématique… Je suis certaine que plusieurs y gagneraient à te lire 😀
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Pingback: L’exemple du brossage des dents | L'école de rang de Katherine
Très touchant, tellement touchant. Et Sylvie a bien raison, tu écris si bien.
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Lorsqu’un dyspraxique vieillit et qui a eu la chance d’avoir de l’aide trouve des moyens pour contrer ses limitations, mais elles demeurent présentes. Je suis bientôt âgée de 30 ans et j’ai eu la chance d’être diagnostiquée à l’âge de 6 ans, cela fait qu’au niveau de l’écriture, de l’oral et de la lecture je suis juste un peu à bas de la moyenne. Cependant, ses acquis ne se sont pas fait sans effort et encore aujourd’hui je dois le faire ce qui fait en sorte que l’épuisement est souvent au rendez vous, malgré tout je suis satisfaite de mes acquis et j’offre mon support aux proches et des personnes qui vivent avec ce trouble. Un jour, quelqu’un m’a dit: La seule étiquette que tu devrais avoir c’est celle que tu auras en fin de vie, les autres débarrassent toi de celles ci parce qu’elles ne définissent pas qui tu es. Cela m’a réconforté parce que l’intention de cette personne était de me faire réaliser que nous sommes avant tout une personne et non pas notre diagnostic.
Bonne journée à tous
Jo
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C’est exactement ce que j’ai écrit à la fin de l’article et que je répète à mon fils tous les jours. La dyspraxie est une partie de toi, mais tu es bien plus grand que la dypsraxie. D’ailleurs lui aussi arrive à s’en sortir pas pire et je suis fière de ses accomplissements.
Bravo à vous aussi! Quelle belle réalisation!
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